Statement

Dans le film « Le troisième homme » de Carol Reed, Harry Lime incarné par Orson Wells a cette fameuse réplique : «L’Italie sous les Borgia a connu 30 ans de terreur, de meurtres, de carnage… Mais ça a donné Michel Ange, De Vinci et la Renaissance. La Suisse a connu la fraternité, 500 ans de démocratie et la paix. Et ça a donné quoi?… Le coucou !».

Faut-il penser comme Harry Lime qu’un contexte d’oppression transcende la liberté créatrice? Que c’est lorsque nos libertés fondamentales nous sont volées que nous trouvons mieux que jamais des moyens détournés d’exprimer celles-ci ? Que , tout simplement, créer rend plus libre ? Dans l’actuelle situation sanitaire, le confinement a été pour certains l’occasion de développer une vie intérieure insoupçonnée, qui n’aurait pas vu le jour sans l’obligation de rester cloîtré chez soi.
C’est dans la pratique de la peinture que je trouve mon plus grand espace de respiration. Contraint par les techniques spécifiques à ce médium, par une figuration et par un format, je représente des paysages qui se voudraient une invitation à prendre le large, en proposant une promenade pour l’œil. Et donc pour l’esprit. Le tableau est alors la fenêtre par laquelle il est possible de s’échapper.


Mes peintures s’inspirent tout autant des tableaux de paysages idéalisés peints au 17e siècle par Le Lorrain ou Nicolas Poussin par exemple, que du paysage méditerranéen dans lequel je vis. Travaillant d’abord sur le motif, je rapporte en atelier des prises de notes peintes ou dessinées que je poursuis généralement de mémoire et d’imagination ou qui seront utilisées pour réaliser d’autres peintures. Ces morceaux de paysages capturés m’apparaissent comme imprégnés du monde antique romain, encore très présent dans notre environnement méridional contemporain (ponts romains, théâtres antiques, aqueducs, oppidums, arcs, sarcophages, etc.). Cette présence de l’antique dans le paysage provençal m’évoque inéluctablement le Classicisme.


C’est au milieu de ce « cadre » que des personnages, parfois, s’invitent pour animer le tableau où la Nature joue un rôle prépondérant sinon le rôle principal. Issues d’images de l’actualité, de portraits de mes proches, de fragments de tableaux de maîtres, ces figures incarnent la condition humaine dans ce qu’elle a de permanent malgré toutes les nouvelles technologies qui l’entourent aujourd’hui, malgré un monde en changements qui affectent d’une manière inédite son quotidien.


Dans leur forme, mes figurations oscillent entre le soucis de représenter scrupuleusement et celui de barbouiller en toute jubilation. En funambule, j’avance sur une ligne de crête, avec d’un côté la nécessité de décrire et de l’autre celle d’être dans un lâcher-prise maximal. Nicolas Poussin-Joan Mitchell comme deux extrêmes en quelque sorte.

Perdre des libertés extérieures afin de mieux retrouver des libertés intérieures, n’est-ce pas la meilleure façon de vivre la crise pandémique ?


Antoine BAER / Mars 2021

Publications